Zone de Texte:  BULLETIN N° 123								Novembre 2020
Zone de Texte: Bulletin 123/1/7

Hommages

Zone de Texte: LE BULLETIN DE VILLES UNIVERS

Français, étrangers, ne restons pas étrangers les uns aux autres
Zone de Texte: Saad Abssi.

A Gennevilliers, dans le quartier des Agnettes, va naître un centre culturel et social qui ouvrira en 2021. Il occupera l’angle des rues Julien Mocquard et Roger Pointard.

 

Il portera le nom d’un homme engagé que Villes Univers connaît bien : Saad Abssi.

 

Saad fut à l’origine de notre association en 1984 avec André Masoni, Etienne Boespflug, Michel de la Villéon et Michel Rousseau.

 

Il fit des permanences (accueil et aide administrative) une dizaine d’années avec Jean Verrier. Celui ci nous donne ici un témoignage de leur engagement commun.

 

Les Permanences de Villes Univers avec Saâd Abssi

 

Pendant plusieurs années j’ai eu la chance de faire des permanences hebdomadaires avec Saâd, d’abord rue des Bas puis rue Numès.  Il arrivait parfois que personne ne se présente et nous passions alors deux heures d’une conversation pour moi toujours passionnante. Nous étions proches mais pourtant bien différents d’âge, de culture, de religion. Avant d’aborder une question délicate, il posait souvent sa main sur mon avant-bras et me disait : « Jean, pardonne-moi… » puis il cherchait un instant ses mots et le ruisseau de paroles s ‘écoulait, limpide sur une voix rocailleuse. Il avait craint de me fâcher mais c’était bien rarement le cas, et de toute façon une telle entrée en matière me rendait prêt à entendre les jugements le plus dérangeants.

C’est aussi parce que l’accueil des personnes dont nous découvrions peu à peu la souffrance et qui venaient chercher une écoute, une aide, nous mettaient tous deux également à l’épreuve. Là encore Saâd pouvait me surprendre. Un jour, un jeune Marocain qui travaillait « au noir » dans un petit restaurant, m’avait été personnellement adressé parce que j’enseignais encore à l’université de Saint-Denis et qu’il voulait s’y inscrire pour profiter d’un titre de séjour. Peu à peu nous apprîmes qu’il s’était déjà inscrit à l’Université de Créteil un an plus tôt, mais sans jamais y mettre les pieds, et qu’il avait recommencé l’année suivante dans une autre université parisienne. Pendant que j’essayais d’expliquer à ce jeune homme que ça ne m’était pas possible de lui donner une 3ème chance s’il ne suivait aucun cours, Saâd, se tournant gravement vers moi me dit que je devais comprendre que lorsque quelqu’un est désespéré il peut sortir de toute légalité et tenter de se sauver par « la débrouille ».  J’ai été un peu surpris de la leçon que me donnait mon ami. Puis, se tournant vers le jeune homme, gravement et avec traduction en arabe : « Mais ici, ce n’est pas la débrouille. »

Ce qui n’empêchait pas Saâd de donner une adresse, d’orienter vers une association qui pourrait servir de relais. Et il en connaissait des associations ! Par exemple, lui, le musulman fervent qui a fait quatre fois le pèlerinage à La Mecque, il tenait aussi une permanence au Secours catholique de Gennevilliers. Un jour il m‘y avait donné rendez-vous et, en voiture, je m’étais perdu dans les nouvelles rues du quartier avec leurs ronds-points et leurs sens interdits. Je vois un piéton qui avance tranquillement sur le trottoir, je m’arrête à sa hauteur et je lui demande comment rejoindre la rue Paul Vaillant-Couturier : « Vous allez au Secours catholique ? — Oui. – Vous allez voir Saâd Abssi ? De plus en plus surpris je lui réponds encore par l’affirmative – C’est tout droit et puis première à gauche. » Présence discrète et cependant rayonnante de Saâd.

                                                                                                          Jean Verrier